Grève générale contre Berlusconi et le patronat 

 

Face à une extrême droite libérale de combat au pouvoir, syndicats, mouvement antiglobalisation et courants politiques radicaux italiens unissent leurs énergies en un vaste mouvement d'opposition sociale et redécouvrent la grève générale pour mettre en échec l'offensive capitaliste et réactionnaire du gouvernement et du patronat contre les droits sociaux .

" On ne peut compter que sur la rue, la rue est l'unique salut ". Ainsi chantait dans les années 70, Giorgio Gaber, un chanteur italien alors proche des milieux anarchistes. Et cela semble être devenu le mot de passe qui depuis un mois mobilise des dizaines de milliers de travailleurs.

Le gouvernement Berlusconi et la Confindustria (le patronat italien) veulent adopter des lois antisociales.

Il s'agit d'une attaque capitaliste délibérée qui vise à faire sauter définitivement des droits, des garde-fou et des garanties, fruits de dures luttes syndicales et politiques au cours de la décennie passée et à détruire la capacité de représentation des forces syndicales, qu'elles soient majoritaires et portées sur la négociation ou qu'elles soient de base et portées sur le conflit. Le gouvernement avance en bloc, sourd même au malaise de sa "droite sociale" et de ses composantes "démocrates-chrétiennes". La Confindustria sent que cette fois elle pourrait remporter une victoire historique sur la classe ouvrière et établir ce point de non-retour dans la confrontation sociale, qu'elle avait tenté d'atteindre en partie avec la complicité du précédent gouvernement de centre-gauche et des syndicats institutionnels.

L'attaque est portée à trois niveaux :

Attaque contre le droit au travail

Gouvernement et Confindustria veulent rendre inopérant et dépassé le Statut des travailleurs de 1971 (une des législations les plus avancées en Europe). Ils ne peuvent pas l'abroger, mais cherchent à le démanteler dans ses points vitaux. Il s'agit de permettre le licenciement sans cause réelle et sérieuse et confier l'éventuel contentieux à un arbitre pour établir un dédommagement financier. La magistrature du travail (qui a presque toujours émis des jugements de condamnation pour les patrons qui licencient sans cause réelle et sérieuse) deviendrait inutile, ainsi que le rôle du syndicat sur le lieu de travail supplanté par un arbitre entre les parties. La liberté de licencier frapperait surtout les travailleurs qui mènent une activité syndicale et promeuvent des activités autogérées sur les lieux de travail. Autre chose : gouvernement et Confindustria veulent abolir le contrat national de travail au profit de la contractualisation décentralisée à l'échelle de l'entreprise et la subordonner à des paramètres comme la productivité, le développement du marché, l'économie locale. Et puis : il s'agit de restreindre le droit de grève, de faire évoluer l'usage de la grève comme instrument de lutte dans le domaine de l'illégalité et par conséquent le rendre pénalement passible de poursuites ou encore le réprimer militairement. Enfin, la loi présentée par Bossi et Fini qui rend humiliante la demande de travail des travailleurs immigrés, tel le geste d'un esclave, pour pouvoir rester en Italie.

Attaque contre le salaire direct

Le partenariat scélérat des années 90 entre syndicats, gouvernement et Confindustria qui a stabilisé les taux d'inflation, n'a produit que des salaires de misère. La modération salariale adoptée dans les années 90 a été inspirée par le gouvernement et par la Confindustria, avec une réduction du pouvoir d'achat. La réforme des taux d'imposition a entraîné une perte pour tous les revenus en-dessous de 20 658 euros (par an). Moins tu gagnes, plus tu payes !!!

Attaque contre le salaire indirect et différé

La privatisation et la marchandisation de l'école, de la santé et des services sociaux constitue un coup très dur contre les conditions de vie des travailleurs, puisque le droit à l'instruction, à la santé, à l'assistance est devenu un coût qui pèse sur les salaires. La loi qui veut réduire les pensions du secteur public et servir d'aiguillon pour les retraites du privé oblige les travailleurs à investir dans des fonds de pension les cotisations versées durant toute une vie de labeur et les mettre à la merci de la spéculation des marchés financiers, rendant la vieillesse précaire et peu sûre. Entre 2000 et 2001 les fonds de pension ont eu un rendement deux fois inférieur (3 %) à celui qu'il y aurait eu sans eux (6,75 %).

La double réponse syndicale

Du côté des syndicats institutionnels CGIL, CISL, UIL. Durant tout le mois de janvier, ils ont organisé des grèves régionales qui ont mobilisé au moins deux millions de travailleurs contre les projets de loi du gouvernement Berlusconi. Alors que la CISL et l'UIL recherchent une négociation à n'importe quel prix, la CGIL a déclaré qu'elle n'engagera aucune négociation sur les licenciements et les retraites. Mais elle ne s'est pas contentée de cela et a appelé à la grève interprofessionnelle pour le 5 avril. De 1945 à aujourd'hui il n'y a eu que trois grèves générales en Italie. Face à un raidissement du gouvernement, il y a eu des grèves spontanées au sein des usines FIAT et dans d'autres entreprises. La CGIL se pose aujourd'hui comme seule force de gauche en mesure de mettre en échec le gouvernement mais doit tenir compte du modérantisme des deux autres syndiats CISL et UIL et de la faiblesse de l'opposition de centre-gauche, encore sous le choc de la défaite électorale de mai 2001.

L'ambiguïté de la CGIL a émergé clairement quand elle a renoncé à la grève nationale de l'éducation le 15 février en signant un accord avec le gouvernement ainsi qu'avec l'UIL et la CISL pour des augmentations de salaires de 100 euros par mois pour l'année 2002-2003. Du côté des syndicats de base.

Les syndicats de base avaient convoqué des grèves de chaque catégorie (école, transports...) durant l'automne 2001 à des dates différentes et sans aucune coordination. Le 15 février ils ont convoqué une grève générale interprofessionnelle. Ils ont diffusé un communiqué de presse signé de tous les sigles de la galaxie du syndicalisme de base avec cette plate-forme :

Ils étaient 100 000 à Rome ce 15 février. Ils ont récolté la rage et la volonté de faire grève de tant de travailleurs déçus par CGIL, UIL et CISL et qui ont manifesté sous les drapeaux des syndicats de base, démontrant qu'il existe une possibilité pour développer un syndicalisme conflictuel de plus grande ampleur. Maintenant le syndicalisme de base doit démontrer qu'il y a possibilité de coordination des luttes et de donner ainsi une chance au développement d'un mouvement des travailleurs auto-organisé et conflictuel. De ce point de vue, le rôle que joue la Coordination nationale des représentants syndicaux unitaire peut être important en élisant à chaque poste de travail des travailleurs de chaque profession et d'appartenances syndicales diverses.

Le mouvement d'opposition sociale

Le durcissement du combat syndical sur des questions fondamentales comme les droits des travailleurs, l'entrée en lice des syndicats de base et la radicalisation (mais on ne sait pas pour combien de temps) de la CGIL, ont donné une nouvelle configuration aux priorités du mouvement d'opposition sociale après le G8 de Gênes en 2001.

Tant le Forum social que les centres sociaux ont donné des signes de disponibilité à une alliance avec le monde syndical surtout avec les syndicats de base et avec le syndicat des métallurgistes et mécaniciens de la CGIL. La soudure entre les questions syndicales, l'opposition à la répression, l'opposition à la guerre, l'opposition aux lois contre les immigrés peut mettre en marche un mouvement d'opposition sociale de vaste dimension qui a fait preuve de visibilité le 15 février et pourrait se répéter avec une plus grande force le 5 avril. Encore faut-il éviter de s'enthousiasmer trop facilement.

Dans les premiers mois de 2002 est également descendu dans la rue un mouvement spontané croissant d'électeurs du centre-gauche qui conteste ses leaders et proteste contre Berlusconi qui veut contrôler les juges, l'information télévisée et fait approuver des lois qui protègent ses intérêts économiques. Bien que n'exprimant pas une position de classe et se limitant à l'indignation, cette agitation spontanée semble agacer le gouvernement.

Il faut par conséquent être prudent : nous ne sommes pas en présence d'un mouvement d'opposition sociale qui aurait élaboré un projet anticapitaliste diffus et des méthodes de lutte libertaires.

Le dirigisme de Rifondazione comunista et de la Confédération COBAS sur le mouvement antiglobalisation n'empêche pas un développement plus large et pluriel, et l'adoption de la plate-forme de Porto Alegre entraîne le mouvement vers des rives réformistes. Le fait que la CGIL renoue avec le conflit ne constitue pas un retour à la lutte de classe mais plutôt l'expression d'une nécessité d'affirmer son rôle pour peser politiquement sur les choix qui concernent le monde du travail.

Pour une opposition anticapitaliste et libertaire

Pourtant tout cela donne la sensation que quelque chose se remet en mouvement et restitue la confiance ainsi que la volonté de lutter : pour défendre les libertés démocratiques, pour stopper l'offensive néolibérale contre le monde du travail.

C'est dans ce contexte que s'inscrit l'importance de l'activité politique, sociale et syndicale des anarchistes et des libertaires.

Grande est l'importance du rôle que jouent les militants syndicaux anarchistes et libertaires dans les syndicats de base UNICOBAS, CUB, USI-AIT et d'une certaine façon également dans la CGIL. La FDCA a il y a quelques temps lancé un appel à ces compagnon(ne)s pour un syndicalisme conflictuel basé sur une praxis libertaire, afin que soit débattue une activité de coordination des libertaires et que se construise une plateforme de lutte sociale et syndicale, afin que croissent les luttes autogérées. A l'intérieur du mouvement antiglobalisation, nous portons une forte contribution d'analyses et de mobilisation afin que la lutte face au néolibéralisme soit la lutte contre le capitalisme, afin que le refus de la guerre et du militarisme soit la lutte contre le nationalisme et le patriarcat, afin que le mouvement antiglobalisation ne soit pas seulement un mouvement porteur de valeurs mais qu'il soit également fortement revendicatif. Nous nous exprimons également sur le refus de la délégation et du leadership, pour un mouvement autogéré et fédéré qui exprime une opposition anticapitaliste et libertaire.

Donato Romito (FDCA)


Alternative Libertaire - Avril 2002