La gauche de classe fait perdre la gauche libérale 

 

En mai dernier, les élections législatives ont permis à la coalition des droites impulsée par Berlusconi de porter au pouvoir le gouvernement le plus réactionnaire que l'Italie ait connu depuis la dictature fasciste. Nos camarades de la Federazione dei comunisti anarchici reviennent pour nous sur cette victoire de la droite extrême et sur ses conséquences à gauche.

Une des particularités de la dernière consultation politique s'explique par le fait que tous, politiques des deux bords, électeurs de tel ou tel parti sont sûrs du résultat : C'est la formation qui siège à droite de l'hémicycle qui l'a emporté.
Une telle assurance venait du fait que la droite a réussi à se rassembler sur un programme et autour d'un leader doté en outre d'une grande capacité financière, assurément et logiquement libéral, expression directe de l'entrepreneur prédateur qui sévit dans le pays.

À droite toute !

Le "Pôle des libertés" (1) est apparu en somme plus solide et surtout en mesure de garantir un électorat unifié dans ses intérêts par un programme et par une capacité de rapine.

A cette formation s'en est opposée une autre identifiée par une couleur (celle de l'Olivier) qui siège à gauche de l'hémicycle parlementaire, réunis autour d'un programme en tout similaire à celui de ses adversaires, tout aussi libéral, dépourvu de valeurs propres et de caractéristiques le distinguant de celui de ses adversaires. Ceci parce que les deux coalitions ont convergé au centre pour se disputer les voix des électeurs modérés, des vieux démocrates-chrétiens et des socialistes, considérés comme le réservoir naturel de voix pour l'emporter sur l'autre formation.

Cependant la "Maison des libertés" jouait sur son terrain politique et elle a réussi à annuler dans le programme la différence d'Alliance nationale qui a renoncé au centralisme et à son attachement pour l'unité nationale, au corporatisme, à l'étatisme, au populisme et en parole à ses racines fascistes. La coalition adverse en dérivant vers le centre abandonné sa gauche, l'excluant du jeu politique. Certainement une partie de celle-ci a trouvé un point de référence dans Refondation communiste, mais ceux qui restaient à l'intérieur des partis de l'Olivier devenaient marginalisés : à ceux-là, encore une fois, on a demandé de se boucher le nez et de ne pas voter en faveur d'un programme, mais de voter contre la formation adverse, au nom des valeurs de l'antifascisme, de la guerre des partisans, de l'antiberlusconisme, etc.

Le système majoritaire se caractérise par le fait de redemander aux différentes composantes politiques le sacrifice de leur identité pour former un bloc cohérent qui soit faible dans la représentation de ses extrêmes.
Les prétentions de la droite à l'intérieur de la coalition de l'Olivier ont été largement satisfaites par le choix des candidatures, du programme et par la désignation des leaders. Les exigences de la gauche devaient trouver un débouché dans la fidélité au vote au nom de la logique du moins pire.

Mais à l'en croire, cette motivation n'est restée seulement qu'à Nanni Moretti (2), avec son trotskysme d'un autre temps. Ceux qui siègent à gauche au parlement doivent comprendre que ce jeu du vote au nom de l'antifascisme pour une coalition qui ne l'est pas a duré au moins 10 ans et ne fonctionne plus ! En ce sens, c'est la fin d'une époque. Le changement de nom des partis, qui correspond également à un changement de leur structure et de leur base sociale, a définitivement détruit le sens de l'appartenance au nom d'idéaux forts.
Du reste, n'est-ce pas la gauche parlementaire qui a fait l'apologie de la fin des idéologies et à soutenu la "pensée faible".

Crise de représentation

Il y a, et c'est visible, une partie du pays, certainement située à gauche qui sait ne pas être représentée et représentable au Parlement. Celle-ci constitue une surface bien plus vaste que les votes récoltés par Refondation communiste. Il y a une défiance croissante dans le système représentatif politique et syndical du pays et la recherche d'autres modes et formes de représentation. Cette partie non représentée au niveau parlementaire de l'électorat de gauche ne veut pas la stabilité ou le gouvernement au prix de voir broyées ses propres valeurs qui sont celles de la justice sociale, de la laïcité, de la solidarité et des droits sociaux. Elle fait le choix de l'instabilité et utilise le vote pour accroître les contradictions. A un gouvernement de droite s'oppose le vote à gauche des élections municipales. Cette réussite s'explique la découverte de la valeur ajoutée qui faisait défaut à la gauche. Elle veut à présent endiguer la perte des valeurs, faire sentir son propre poids au lieu de traquer les voix modérées et s'adresse également aux formations de gauche. Alors elle a mis le prix pour faire la différence : l'alliance électorale avec Refondation communiste, le glissement à gauche du programme de la coalition, la proposition d'initiatives y compris référendaires pour battre la droite sociale qu'on trouve également dans la coalition de l'Olivier (3).

Et ceci par exemple est l'enjeu du prochain référendum de novembre sur la parité scolaire en Émilie-Romagne où les Démocrates de gauche devront choisir leur camp.

Quand on lit les résultats des élections, il en ressort qu'en vote absolu la coalition de centre-gauche recueille la majorité des suffrages mais ne réussit pas à la gérer à cause du système électoral et aux déséquilibres internes dans les rapports entre ses composantes. L'analyse apparaît encore plus évidente quand on regarde les résultats des élections municipales.

A la coalition de centre-gauche, si elle veut vaincre, il reste à affronter et à résoudre le problème en donnant finalement des voix et une représentation à ses composantes de gauche. Tant que ces conditions ne seront pas réunies Berlusconi continuera à vaincre !

Autre problème, celui du leadership des Démocrates de gauche dans la coalition, rendant évident le fait que ce parti a été doublement défait lors des élections. Avec ces choix peu clairs, comme parti majoritaire du cartel électoral, il porte la responsabilité de la défaite pour avoir cédé des sièges et des votes à la droite de la coalition où l'on retrouve un centre plus fort et plus organisé en son sein. Il est responsable de la défaite pour avoir désigné des candidats incapables de récupérer des suffrages, en s'appuyant sur leur prestige et leur histoire personnelle, et en compensant au moins en partie les carences du programme, ces voix à gauche qui ont aujourd'hui une valeur stratégique. Il porte la responsabilité de ne pas avoir recherché un accord avec Refondation communiste, en offrant des contreparties sur le programme de la coalition en échange de seulement quelques sièges. Les élections italiennes sont importantes pour toute la gauche en Europe, parce que cette même erreur pourrait être faite par toutes les formations de gauche qui sont aujourd'hui affaiblies par le résultat des élections italiennes.

Mais les résultats électoraux disent autre chose à la gauche de classe. Il est temps de comprendre que sans une reprise de l'opposition sociale on ne défendra pas les droits élémentaires. Retraites, santé, travail, politiques sociales, sont le terrain sur lequel on se mesurera avec le gouvernement. Il y a aujourd'hui des tendances potentielles dans la gauche parlementaire qui peuvent choisir le voie du conflit social, au lieu de l'opposition institutionnelle. Mais on peut penser qu'il se produira la même chose que par le passé à l'époque du premier gouvernement Berlusconi, à savoir que ces forces se positionneront tactiquement à gauche en pensant être encore hégémoniques et utiliser le mouvement.

Ce qui est clair, c'est que la gauche de classe possède une stratégie politique, des valeurs et des intérêts à défendre qui ne peuvent être ignorés.

Un premier test de ce nouveau rapport se déroulera à Gênes à l'occasion du G8 mais cela ne peut être que le début d'une vérification qui devra se dérouler sur chaque poste de travail, dans chaque endroit, dans chaque centre social et dans chaque lieu de rassemblement.

Gianni Cimbalo

 

notes

1. Le pôle des libertés est la coalition des droites dirigée par Berlusconi et son parti Forza Italia, elle rassemble en son sein l'Alliance nationale dirigée par Gianfranco Fini issue du Mouvement social italien (parti se réclamant de l'exemple de Mussolini), de la Ligue du Nord d'Umberto Bossi (qui se bat pour une sécession des régions du Nord où sont concentrées les richesses et les secteurs les plus dynamiques de l'économie italienne) et enfin une partie de ce qui reste de la Démocratie chrétienne avec à sa tête Rocco Buttiglione qui vient de déposer un projet de loi pour interdire l'avortement.

2. Le cinéaste Nanni Moretti, proche des Démocrates de gauche, avait reproché violemment à Fausto Bertinotti, secrétaire général du Parti de la refondation communiste, lors du dernier festival de Cannes, d'être l'artisan de la défaite de la coalition de l'Olivier aux élections législatives pour avoir refusé un accord électoral national avec elle.

3. L'Olivier est une coalition regroupant diverses formations libérales de gauche. L'actuel président de la Commission européenne, Prodi, en est issu. Elle est dominée par les Démocrates de gauche formation issue de l'ex-Parti communiste italien rallié ouvertement à la social-démocratie après la chute du mur de Berlin en 1989, puis rapidement au libéralisme comme tous les partis socialistes et sociaux-démocrates européens.


Alternative Libertaire - Juillet 2001